En Chine, la consommation d'alcool est souvent associée à l'art, à la poésie et à la calligraphie. Les grands artistes de la Chine ancienne sont réputés pour avoir souvent trouvé l'inspiration en buvant en compagnie d'amis et l'on retrouve souvent dans leurs oeuvres la référence au bonheur et au bien-être ressentis grâce à un verre de vin.
Le vin auquel ces lettrés s'adonnaient est le "vin jaune - 黄酒 huang jiu", un alcool de riz dont le lieu de production le plus réputé est la région de Shaoxing - 绍兴 dans la province du Zhejiang - 浙江, au sud de Shanghai.
Ce vin, de couleur ambre foncé, de 12 degrés d'alcool environ, quelquefois plus, se boit chaud servi dans un petit pot spécial, le 温酒壶 - wenjiu hu, qui permet de le chauffer au bain-marie. Il est obtenu par la fermentation de grains de riz non suivie de distillation et s'apparente au saké jaonais qui s'en est d'ailleurs inspiré. C'est un vin traditionnel, connu depuis la période néolithique, et qui servit à l'origine de boisson sacrificielle offerte en libation aux esprits des ancêtres et aux divinités supérieures. C'est une boisson également reconnue comme bonne pour la santé (en consommation raisonnable), et il est, dans certains cas, recommandé en médecine chinoise pour accompagner la prise de médicaments.
Le vin jaune fut une source d'inspiration pour les poètes et artistes des dynasties Jin - 晋 à Song - 宋 (entre les IIIe et XIIIe siècles). Lors de soirées, les convives étaient invités à composer des poèmes tout en dégustant du vin. Le grand poète de la dynastie Tang - 唐, Li Bai - 李白 (701-762), grand buveur épris de liberté et qui mena une vie de bohème et de vagabondage, associe souvent la lune et le vin dans ses poèmes dont voici, ci-dessous, le plus célèbre du genre.
月下獨酌
花間一壷酒
獨酌無相親
舉杯邀明月
對影成三人
Je bois seul sous la lune
Un pichet de vin parmi les fleurs
Je bois seul, sans compagnon
Je lève ma coupe pour convier la lune claire
Avec mon ombre, nous sommes trois
Quelques siècles auparavant, sous la dynastie des Jin - 晋 (265- 420), dans la région de Shaoxing, le célèbre calligraphe Wang Xizhi - 王羲之(303-361) aimait réunir ses amis poètes et calligraphes autour d'un bon repas bien arrosé. Un jour de l'année 353, alors qu'il avait rassemblé une quarantaine d'amis près du Pavillon des Orchidées - 蘭亭 lan ting, il lança parmi eux un concours de poésie tout à fait particulier. Il posa une coupe de vin sur l'eau d'un petit ruisseau qui coulait tout près après avoir installé ses amis sur la rive. La coupe voguait au gré du courant et lorsqu'elle s'approchait d'un convive, celui-ci devait composer un poème. Celui qui ne s'en acquittait pas correctement devait boire la coupe de vin. Grisé par la présence de ses amis et aussi par le vin, Wang Xizhi prit un pinceau et traça la préface au recueil des poésies composées ce jour-là.
La "Préface au recueil du Pavillon des Orchidées - 蘭亭序 Lan Ting Xu est devenue, par sa spontanéité et sa fraîcheur, un grand classique de calligraphie de style cursif - 行书 xingshu. C'est l'oeuvre de calligraphie de ce style la plus célèbre et la plus copiée de l'histoire de Chine. (*)
En mémoire de cet évènement, tous les ans, se tient à Shaoxing, au troisième mois lunaire (en avril de l'année solaire), un Festival de Calligraphie.
(*) C'est l'oeuvre que je tente de recopier au pinceau depuis quelques temps, sans grand succès, en m'accompagnant d'un godet de vin de Shaoxing. Peut-être dois-je augmenter la dose de vin jaune ?
Une bouteille de vin de Shaoxing - 绍兴黄酒 assez ordinaire qui sert aussi pour la cuisine. Cinq ans d'âge et 12 degrés d'alcool environ. 1,5 L à 30 yuans (4,5 Euros)
La couverture d'un livre qui rassemble trois copies de la Préface du Pavillon des Orchidées - 蘭亭序 dont une de l'empereur Qianlong - 乾隆 (1735-1796) de la dynastie des Qing
Les deux premiers morceaux de cette préface